Farah Alibay : quand un rêve devient réalité
Le 18 février 2021 marque le moment où le robot Perseverance a atterri sur Mars. Depuis, Farah Alibay, ingénieure québécoise en génie aérospatial à la National Aeronautics and Space Administration (NASA) qui pilote le robot à distance, a fait plusieurs apparitions médiatisées. Venant d’une famille immigrante, appartenant à la communauté LGBTQ2+ et étudiant dans un domaine majoritairement masculin, elle a rencontré de multiples obstacles tout au long de son parcours. Malgré tout, elle est devenue ingénieure en aérospatiale, un objectif qu’elle était déterminée à atteindre. Voici un résumé de l’entretien que l’équipe de la Chaire pour les femmes en sciences et en génie (CFSG) a eu la chance d’avoir avec elle.
Pour commencer, peux-tu nous parler de ton parcours en quelques mots?
Je suis née à Montréal, puis j'ai grandi à Joliette jusqu’à la fin de mon deuxième secondaire. Ma famille a ensuite déménagé au Royaume-Uni où j’ai poursuivi mes études secondaires et l’équivalent de mes études collégiales là-bas, alors que je ne parlais pas du tout l’anglais. Au Royaume-Uni, il est obligatoire de faire une maîtrise pour devenir ingénieure ou ingénieur, ce qui n’est pas le cas au Québec. J’ai donc effectué mon baccalauréat ainsi que ma maîtrise en aéronautique à l’Université de Cambridge. Après avoir obtenu ma maîtrise, je me suis inscrite au doctorat en aérospatiale au Massachusetts Institute of Technology (MIT) à Boston, aux États-Unis.
Pourquoi as-tu voulu devenir ingénieure?
Je suis née dans les années 90. À cette époque, il y a eu beaucoup de films et de séries dont l’histoire se déroulait dans l'espace, tels que Star Wars, Star Trek, Dans une galaxie près de chez vous, Apollo 13, etc. Ces films et ces séries ont fait grandir mon intérêt pour la découverte de notre univers et sont à l’origine de mon désir de devenir ingénieure en génie aérospatial. Toutefois, réaliser que je pouvais réellement travailler en aérospatiale m’a pris du temps : quand on est une jeune fille racisée qui habite à Joliette et qui voit majoritairement des hommes blancs à Houston travailler sur une mission lunaire, c’est plutôt difficile d’avoir le sentiment qu’il y a une place pour nous dans ce métier. Éventuellement, j'ai vu des astronautes comme Mae Jamieson qui se sont démarquées en tant que femmes dans leur domaine. Ça m'a permis de rêver. Ça m'a permis de voir des femmes qui avaient du succès en aérospatiale.
Quel aspect de ton travail t’anime le plus?
Chaque jour, mes collègues et moi faisons quelque chose que personne n'a fait auparavant. Même les jours où nous faisons des tâches qui peuvent paraître plutôt banales, nous accomplissons tout de même quelque chose que personne n’a accompli auparavant. Parfois, j’avoue que c’est difficile. Cependant, c’est normal que l’on trouve notre travail difficile à l’occasion, car on est les premiers à faire ce que l’on fait, et c’est ce qui me motive au quotidien.
Est-ce que tu penses que tu as rencontré davantage d'obstacles, puisque tu viens d'une famille immigrante et que tu fais partie de la communauté LGBTQ2+?
J’ai effectivement rencontré plusieurs obstacles au cours de ma vie. Dans mon enfance, je faisais partie de la seule famille immigrante à Joliette, une des raisons pourquoi j'ai vécu beaucoup d’intimidation liée à la couleur de ma peau. Vivre du racisme m'a vraiment marquée en grandissant. J’ai tout de même eu de belles amitiés, mais je vivais avec une certaine peur de rencontrer des gens.
J’ai rencontré d’autres obstacles une fois à l’université parce que je suis une femme. Sur le marché du travail, aux États-Unis, c’est mon statut de personne immigrante qui m’a rendu la vie plus difficile. Et puis, plus tard dans ma vie, j’ai réalisé que j’étais queer. Il est certain que le fait que je sois intersectionnelle* m’a posé davantage de défis.
Qu'est-ce que l'intersectionnalité*?
L'intersectionnalité est le « cumul de différentes formes de domination ou de discrimination vécues par une personne, fondées notamment sur sa race, son sexe, son âge, sa religion, son orientation sexuelle, sa classe sociale ou ses capacités physiques, qui entraîne une augmentation des préjudices subis. » (Grand dictionnaire terminologique, 2022)
En tant qu'ingénieure, as-tu eu à utiliser des compétences de leadeurship et de communication dans ton quotidien?
Les gens me demandent souvent : « Ça prend quoi pour être ingénieure? » Je leur réponds que, pour les mathématiques et la physique, la théorie s’apprend à l’université, mais que le travail d’équipe, la façon de communiquer ses idées et d’avoir de l’influence sur une équipe, ce sont des compétences que l’on développe avec de la pratique. En ce qui concerne le robot Perseverance, par exemple, il n’y a personne dans mon équipe qui comprend le robot dans son entièreté. Chaque personne est spécialisée sur une partie différente du robot, ce qui fait en sorte qu’il faut que tout le monde travaille ensemble afin de le faire fonctionner correctement. La communication est donc essentielle quand tu as un problème à régler ou une idée à partager aux autres membres de ton équipe.
Mon petit secret pour être une bonne leadeuse, c'est que je prends le temps de connaître les gens. C'est quelque chose qui est très important pour moi, d'avoir une relation très personnelle avec les gens dans mon équipe. Ça ne fonctionne pas pour tout le monde, mais pour moi, ça me permet de connaître leur style de communication, de demeurer à l’affût de ce qui se passe dans leur vie et d’adapter mes interventions en conséquence. Aussi, j’ai appris à demander de la rétroaction de la part de mon équipe. Il est bien d’obtenir de la rétroaction de nos supérieures et supérieurs, mais il est encore plus constructif d’en obtenir de la part des gens que l’on supervise.
En conclusion, peux-tu nous parler de ton nouveau rôle de modèle féminin en génie?
Pouvoir partager ma passion avec les gens, ça me donne énormément d'énergie. Être capable de partager ce que je fais en français avec les jeunes, j’adore ça, car c’est aussi la mission que je me suis donnée il y a plusieurs années : encourager les jeunes, les femmes ainsi que les minorités à s’intéresser au domaine du génie. Bref, j’adore partager ma passion avec les gens et je suis très reconnaissante qu’on me donne une tribune pour le faire.